L’habitant partenaire : une nouvelle étape dans l’engagement des habitants au sein des territoires
- Nicolas Le Berre
- 7 mai
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Nantes, mardi 5 juin 2040. Comme chaque mardi et jeudi, Mathieu, l’un des habitants partenaires de la ville, se rend rue Vasco de Gama pour retrouver les équipes de la direction de l’urbanisme. Il aime commencer ses journées à l’accueil du service car, deux ans après avoir été engagé comme habitant partenaire par la Ville, c’est dans le contact direct avec les habitants qu’il se sent le plus utile. Depuis que le service a été largement rendu accessible sur le site internet, les gens se déplacent surtout pour être aidés à remplir les formulaires, pour avoir des réponses à des problèmes plus complexes ou simplement pour rencontrer un « humain » ! C’est souvent un agent de la Ville comme Caroline, qui oriente vers Mathieu pour recevoir les visiteurs et leur apporter son aide pour comprendre une situation ou remplir correctement les documents. Caroline aime dire à ses interlocuteurs que Mathieu est lui-même un habitant et qu’il pourra s’appuyer sur sa propre expérience pour les aider avec son propre vocabulaire (beaucoup moins technique). Au début, les gens trouvaient cela curieux d’être orienté vers un habitant et il faut dire aussi que Caroline, comme d’autres agents du service, avaient du mal à comprendre qu’on rémunère un habitant pour aider d’autres habitants ! Mais c’est en échangeant puis en travaillant ensemble que Caroline a compris que le rôle de Mathieu n’était pas de défendre les droits des habitants mais bien de contribuer à améliorer ensemble l’expérience des habitants qui se présentent à la direction de l’urbanisme. Qui est mieux placé qu’un habitant ayant vécu les habituelles complexités des démarches d’urbanisme (et étant en plus très attaché à sa chère ville de Nantes !) pour aider d’autres habitants ? Ce matin-là, Mathieu a aidé Pierre à comprendre pourquoi et comment obtenir une autorisation pour l’abri de jardin qu’il est en train de construire. Avant de rencontrer Mathieu, il avait un doute sur le besoin d’avoir une autorisation pour un simple abri de jardin et ne comprenait pas bien l’utilité. Il a aussi aidé Samira qui pense avoir trouvé un terrain pour réaliser son projet de construction de maison bioclimatique aux matériaux biosourcés. Samira souhaite savoir la faisabilité de son projet et veut connaître les éventuelles aides financières. Mathieu lui conseille d’abord d’échanger avec un des architectes experts mis en place par la mairie et l’aide à prendre le rendez-vous. Il lui remet aussi le guide auquel il a participé sur les conseils en matière de construction durable.
Mathieu aide aussi très souvent les services de l’urbanisme à concevoir des guides pratiques à destination du public et fait remonter les besoins de clarification ou de simplification des règles d’urbanisme ou des démarches de demande d’autorisation.
Pour répondre aux habitants, Mathieu s’appuie sur le savoir tiré de ses propres expériences (savoir expérientiel) durant son projet d’habitat participatif. Un processus un peu long, mais très formateur pour ses membres. D’ailleurs, quand l’appel à se manifester pour le poste d’habitant partenaire a été lancé par la Ville, outre les canaux habituels de sollicitation des habitants, un point avait été fait dans le service pour savoir si, parmi les usagers récents, certaines personnes ayant le bon profil pouvaient être contactées. Son expérience avait clairement joué en sa faveur.
Si Mathieu parle plusieurs langues et maîtrise le numérique, ce qui facilite grandement la communication avec certains habitants, il a dû se former à la pédagogie, au bien commun, et aussi suivre une autre formation spécifique pour « comprendre le langage » des urbanistes, et avoir une compréhension suffisante des sujets : pour cela, il a participé à plusieurs sessions d’ECH (Éducation Citoyenne de l’Habitant) mis en place par la ville. Ces sessions sont spécialisées sur chacun des domaines de la ville (il a fait une session ECH sur l’urbanisme, mais il y en a aussi sur la transition environnementale, l’éducation, l’enfance, les espaces verts, la culture et les loisirs, les solidarités...). Mais avant tout, ce qui a vraiment aidé pour qu’il soit engagé par la Ville, c’est son DU (Diplôme Universitaire) d’habitant partenaire. Cette formation conçue par l’Université de Nantes en partenariat avec Paris 8 et CY School of design, permet aux participants de comprendre les rôles, les postures d’interventions et les modalités d’action des habitants partenaires. Certains formateurs sont d’ailleurs eux-mêmes des habitants partenaires expérimentés avec une envie forte de transmettre. Ils forment aussi les professionnels de la ville, pour qu’ils comprennent le rôle et la valeur ajoutée des habitants partenaires, qui doivent réellement devenir leurs partenaires pour améliorer la vie des habitants de la Ville.
En fin de matinée, le mardi, c’est la réunion hebdomadaire du service « Urbanisme ». Mathieu y participe depuis le début de son implication dans le service et y retrouve Caroline. Au début, il écoutait beaucoup et faisait quelques retours aux responsables après les réunions, mais il contribue maintenant de plus en plus, en citant des exemples de ce qu’ont vécu certains citoyens qu’il a rencontrés depuis qu’il est là, sur les sujets abordés. Il est très écouté par chacun car son rôle d’habitant partenaire lui permet une liberté de ton et une approche concrète et exigeante vis-vis de l’amélioration de l’expérience usagers de la mairie. Il réfléchit AVEC et POUR les habitants, et cela fait toute la différence. C’est d’ailleurs la même posture que Mathieu a dans les réunions de service : il réfléchit AVEC les équipes. Il n’est ni dans une posture de pouvoir, de décision ou d’approche partisane, ni dans une posture de « défense des droits » des habitants que pourrait avoir un représentant d’une association d’habitants.
En plus de son implication directe auprès des habitants et de sa participation à la réunion hebdomadaire du service, Mathieu est sollicité avec ses collègues habitants partenaires pour participer à certains projets de la Ville pour travailler sur le lancement de nouveaux services, sur les budgets dédiés aux habitants, ou sur le schéma d’aménagement de nouveaux quartiers. Il a même participé à un projet de recherche sur la Ville Durable de Demain, avec des acteurs de la Métropole et de la Région, mais aussi avec des ingénieurs, des architectes, des ethnologues, des futurologues... Il trouve qu’il a beaucoup de chance de vivre tout ça.
Quand on y pense, ce n’est pas un hasard si Mathieu travaille comme habitant partenaire pour la Ville de Nantes depuis 2 ans. Mathieu est avant tout un amoureux de sa ville. Il vit dans le quartier Île de Nantes depuis bientôt 15 ans et a toujours été le premier pour organiser la fête des voisins. Il participe souvent aux concertations publiques de la Ville ou aux ateliers citoyens organisés dans son quartier, et même aux actions telles que la végétalisation spontanée organisées par le collectif de son ami Nico. Il y a 5 ans, il avait même réussi à ce que des ruches soient placées dans le parc de Beaulieu. Quand il a entendu parler du fait que l’on pouvait devenir habitant partenaire, et être employé par la Ville 2 ou 3 jours par semaine, il s’est dit que ce serait un complément parfait à sa vie d’informaticien indépendant – Mathieu développe des sites internet pour des petites entreprises et particulièrement pour les commerçants locaux. C’est à ce moment-là qu’il s’est inscrit au DU Habitant Partenaire, dont le format court et hybride permet plusieurs sessions par an. Cela lui a permis de postuler pour être un des trois habitants partenaires des services de la Ville.
Le contrat d’habitant partenaire de Mathieu arrive à échéance dans 1 an. Il est possible de renouveler une fois le contrat de trois ans en conservant ou changeant de mission. Pour l’avenir, Mathieu se dit qu’il y a peut-être d’autres domaines sur lesquels intervenir. Dans son rôle de père il a aussi beaucoup d’expérience sur le parcours pour trouver des places en crèche, s’inscrire à l’école, changer de collège ou choisir des activités pour ses enfants. De plus, en travaillant à la direction de l’urbanisme, il a pu voir évoluer les espaces scolaires (rues des enfants, cours végétalisées...) et cela lui a permis de faire le lien entre les espaces et les services qui y sont proposés. Du coup, il se voit bien aussi aider au service de l’enfance, mais il aimerait aussi contribuer à développer ce rôle d’habitant partenaire au sein d’autres villes dans la région, en devenant lui-même formateur ou en intervenant dans des DU Habitant Partenaire. Avec les gens du service démocratie de la ville qu’il a pu croiser dans certaines réunions, il a même discuté de l’idée de proposer un cours sur l’Habitant Partenaire à Science po, et pourquoi pas à l’INET !
Même si ce récit est naturellement fictif, il porte les fondamentaux de ce que pourrait être, dans une ville ou une métropole, sur les sujets de l’urbanisme mais aussi d’autres sujets comme l’action sociale, la transition écologique, les services de proximité, etc., le rôle le plus abouti d’un « habitant partenaire », en s’inspirant de l’approche « patient partenaire » qui se déploie aujourd’hui dans le monde de la santé sous la dénomination « partenariat en santé ». Dans ce cadre, en effet, certains patients - mobilisés et formés – sont impliqués dans des réflexions, au sein même des équipes, avec le corps médical, pour penser l’amélioration de l’expérience vécue par les patients au sein de l’hôpital.
En faisant ce parallèle avec la ville, et dans une perspective d’amélioration continue et de développement de la participation habitante à la fabrique du territoire, nous pensons intéressant d’envisager, qu’un jour, les collectivités territoriales feront de même, en développant la coopération et le partenariat avec des habitants formés sur le fond des sujets mais comme sur les méthodes & postures de la co-construction mais aussi le fonctionnement des instances projets. Tout reste à écrire et à tester pour faire émerger et cheminer cette notion d’habitant partenaire sur les territoires, et nous, Collectif(s) Créatif(s) des Territoires, souhaitons pouvoir poursuivre et pousser davantage la réflexion et les expérimentations sur le terrain pour faire de ce concept, une réalité pour demain !
Pierre, Lena, Renaud, Nicolas, Annabelle, William pour le Collectif(s) Créatif(s) des Territoires
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